Dans toute communauté, la vie courante est ponctuée d’incidents de fonctionnement :
des bourdes sont commises, généralement sans faire exprès, par inadvertance, manque de temps, parfois même en cherchant à bien faire. Elles sont à l’origine d’un processus de dégradation des relations, abondamment développé dans le parcours de formation IFMP : la perception de ces incidents par ceux qui les subissent entraîne potentiellement des conséquences psychologiques et intellectuelles qui ont à leur tour des conséquences sur l’action. Le doute et la crainte poussent au silence, à l’isolement, au repli sur soi, au désengagement, à la démotivation voire à l’opposition larvée…
Exemple : Dans une entreprise industrielle, une nouvelle commande urgente nécessite de réorganiser la production d’un atelier ; le directeur de production descend dans l’atelier et fait modifier les réglages des machines, modifie l’ordonnancement, sans en avertir le chef d’atelier.
Ce dernier s’était absenté pour suivre une formation au management. A son retour, il est informé des changements par ses subordonnés.
Dans cet exemple, la volonté de bien faire n’est pas en doute. Face à l’urgence, le directeur est réactif, la nouvelle commande sera honorée…
Pourtant, le chef d’atelier va s’interroger :
« Pourquoi le directeur de production a-t-il pris des décisions sans moi ? Pourquoi ne m’a-t-il pas consulté ? Pourquoi ne ma-t-il pas informé ? Est-il donc maintenant normal d’être tenu au courant par ses propres collaborateurs ? Se rend-il compte que ma crédibilité est en jeu ? Le directeur a-t-il voulu me faire passer un message ? Me fait-il suffisamment confiance ? Dois-je lui parler de cet incident ? Finalement, ce n’est pas si grave….je ne vais pas l’ennuyer avec cela …Etc. »
Si d’autres incidents de même nature se reproduisent, la frustration du chef d’atelier va grandir et selon son tempérament et les circonstances :
– il gardera le silence, mais saisira toute occasion pour se protéger et défendre son territoire
– il partagera sa frustration avec ses collègues (dans cette boutique, les chefs font n’importe quoi !)
– il cessera de prendre des initiatives (puisqu’il est si fort là haut, qu’il se débrouille !)
– il demandera sa mutation
– etc.
Il est assez facile de faire parler les managers de situations similaires de déstabilisation dont ils ont pu être les acteurs ou les témoins. Mais la plupart y voient une sorte de fatalité. « Que voulez-vous, on n’a pas le temps de prendre de gants, il faut aller vite, l’entreprise n’est pas faite pour des gens trop sensibles, il faut apprendre à se protéger, ce serait un signe de faiblesse de se laisser gagner par des états d’âme et après tout, ce n’est pas si grave … etc. »
Attitude quelquefois héroïque et pragmatique, mais le plus souvent consternante d’aveuglement et d’impuissance de la part de ceux qui ont pour fonction de régler la vie d’une communauté de travail, pour rendre plus facile la réalisation de ses objectifs.
En réfléchissant un peu, une première évidence saute aux yeux : les incidents de fonctionnement existent partout, à tous niveaux. Il s’agit de réalités expérimentales universelles. La seconde évidence est qu’il y a des incidents parce qu’il y a des règles sous-jacentes, implicites ou explicites. Toute personne « victime » d’un incident estime en effet qu’une règle a été enfreinte à son détriment. La troisième évidence est que le moyen le plus sûr d’alimenter le cercle vicieux de la dégradation consiste à ne pas réagir aux incidents.
La question pratique essentielle est donc de savoir qui doit réagir et comment.
A moins d’être « un sale con certifié », les fauteurs de troubles ont rarement conscience des dommages collatéraux qu’ils provoquent et de l’étendue de leurs conséquences. L’expérience montre donc que seules les « victimes » d’incidents peuvent réagir efficacement, tout simplement parce que personne d’autre ne peut le faire à leur place. Mais elles ne peuvent se livrer à cet exercice difficile qu’à la condition d’être suffisamment sécurisées.
Un environnement de travail où chacun peut s’appuyer sur des règles, indiscutables et applicables à tous offre cette sécurité. Les règles implicites de bon sens, auxquelles toute personne de bonne foi est supposée adhérer ne suffisent pas. C’est au management qu’il appartient de préciser de façon explicite les règles applicables et de s’engager fortement à les faire respecter.
Un patron avait coutume d’alerter ses collaborateurs sur le syndrome du « c’est pas grave ». Ce qui est grave, disait-il, c’est de ne pas réagir rapidement à nos dérives de fonctionnement parce que là se trouvent les causes principales de nos pertes d’efficacité.