François Dalens dirige les bureaux parisiens du Boston Consulting Group, fameuse société de conseil dont la réputation n’est plus à faire. Invité à décrire les principaux défis actuels des dirigeants par Le Figaro, cet expert du monde des entreprises livre son diagnostic dans cet interview , résumé par ce titre « Le dirigeant doit remettre l’individu au centre du jeu collectif » . Quels sont les points les plus remarquables de cette vision, qualifiée de révolution par le Figaro ?
Soumis à des injonctions contradictoires dans un monde changeant devenu globalisé et numérisé, les dirigeants restent confrontés à une réalité qui ne semble pas changer ; la problématique d’engagement de leurs collaborateurs. Selon une analyse récente, 30% d’entre eux s’ennuient au travail en France. Dans le même temps, une autre étude menée par Ipsos souligne les attentes de sens, de valeur et d’intérêt pour le travail des diplômés de grandes écoles. Ces derniers seraient donc prêts à s’investir dans un milieu professionnel qui saurait répondre à leurs attentes.
Mais comment y parvenir alors que la complexité des affaires et la domination des modèles anglo-saxons privilégient les process au détriment de la confiance placée dans l’intelligence des personnes, selon le principe que chaque collaborateur est un rouage d’une machine qui peut fonctionner indépendamment du collaborateur ? Cette approche « presse bouton » peut fonctionner avec une machine à laver, mais, certains peuvent le déplorer, pas avec des êtres humains dont le mode d’emploi reste encore assez éloigné de celui d’une machine à laver…
François Dalens recommande « d’encourager notamment la coopération dans les organisations mais aussi la responsabilisation de tous les acteurs en étendant notamment «l’ombre du futur» sur leurs actions. Autrement dit, un salarié doit se sentir responsable des conséquences de ses actes ». Il ajoute que le premier rôle du dirigeant n’est pas de prendre toutes les décisions mais « de créer les conditions de l’agilité et de la croissance de l’organisation. Pour y arriver, le dirigeant doit être capable de remettre l’individu au centre du jeu collectif. Il doit aussi donner un sens à l’action de l’entreprise…ce n’est pas la règle qui compte, mais la manière dont l’intelligence individuelle et collective résout les problèmes de l’organisation. » Ce qui prime, c’est donc la création d’un environnement de confiance et de délégation, qui permette de régler les problèmes au niveau le plus bas possible dans une culture de complémentarité, d’agilité et d’innovation. Ce qui supposerait de laisser des espaces de liberté et de créativité dans un univers où la règle de l’organisateur est la standardisation et le contrôle. Contradiction douloureuse qui appelle les dirigeants à apprendre à « s’abandonner à la force des autres » selon la belle formule de Max de Pree.
Enfin, allier l’individuel et le collectif doit aussi être favorisé par un système d’évaluation qui encourage l’individu à être fédérateur, à se confronter avec tous les autres métiers de l’entreprise pour proposer la bonne solution. « Il faut mesurer la contribution individuelle au succès collectif et la capacité du collaborateur à répondre aux besoins de ses collègues ». Là est la révolution, qui confirme le sens du travail, rétablit les relations de proximité indispensables au sein des équipes et donne de la valeur à ce qui ne se compte pas. A condition de bien comprendre que cette contribution essentielle ne peut être mesurée, mais évaluée qualitativement par les personnes en charge. Ce progrès « révolutionnaire » repose in fine sur la confiance des dirigeants dans la capacité de jugement subjectif des personnes à qui ils ont confié leurs équipes de travail.