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Oser la confiance

Tout le monde sait que la confiance est un facteur clé de développement. Pour l’entreprise, la confiance des clients est un bien très précieux et fragile, facteur décisif de fidélité… Pour une équipe de travail, la confiance facilite les échanges, libère l’énergie et accélère les progrès… De façon plus large, la confiance est cet ingrédient mystérieux qui féconde les relations de travail et permet de manager « lean »… Plus il y en a, plus l’entreprise peut simplifier son fonctionnement et orienter l’énergie de son personnel vers la recherche de la performance commune.

Question pratique : comment faire confiance ? Le bon sens et l’expérience commune enseignent que la confiance se mérite : on ne peut accorder sa confiance les yeux fermés… Il faut démontrer sa fiabilité pour être reconnu « digne de confiance ». Il faudrait donc du temps, de la prudence, du contrôle et de la patience pour faire grandir cette qualité de relation si désirable.

En sens inverse, faudrait-il être complètement irréaliste pour décréter la confiance ? « Oser la confiance » apporte des réponses passionnantes à cette question. L’expérience fameuse conduite par Bertrand Martin chez Sulzer est la base d’un des meilleurs livres de management de ces dernières années.

 

oserlaconfiance

La confiance y apparaît comme une sorte de pierre philosophale*. Mais à la différence du rêve des alchimistes, l’approche originale de Bertrand Martin a été pleinement couronnée de succès. Il faut lire et relire ce témoignage irremplaçable de l’histoire réussie d’un redressement d’entreprise a priori impossible.

Comme dans toute histoire, les lectures peuvent être variées. A juste titre, les auteurs ne prétendent pas proposer de modèle universel. Mais l’expérience décrite est un puissant stimulant pour une réflexion approfondie sur les fondamentaux du management. Pour l’exemple, retenons les deux points suivants :

1 – « …Il n’y a pas à se soucier de l’énergie, elle est toujours considérable. Seules comptent les conditions de sa libération. Et ces conditions sont exigeantes.

→ La franchise sur la réalité de la situation
→ L’appel à tous qui reconnaît la valeur de chacun et solidarise l’entreprise
→ L’écoute préalable à toute déclaration pour ouvrir le champ sans limites
→ La liberté jusqu’au bout, sans contrôle, qui responsabilise et permet l’appropriation
→ La confiance jusqu’au bout qui appelle la confiance… »

2 –  » Le fonctionnement rationnel, sûr, mécanique, organisé, contrôlé, avait cédé sa primauté à la logique du vivant, celle de l’envie de faire, de l’enthousiasme… »

Comment unir l’énergie de l’irrationnel à la solidité du rationnel ?
Comment passer de l’entreprise mécanisée à l’entreprise humanisée ?

Bonne lecture !

* substance qui, mise au contact des métaux vils, était supposée les transmuer en or…

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Manager sans perdre son âme

Manager sans perdre son âme…Enjeux les Echos y consacrent leur dernier numéro mensuel. C’est dire l’importance actuelle de la question. De nombreux livres et fims récents ont fait le procès de la vie en entreprises. Des lieux où prospèrent cyniques, manipulateurs et salauds. Des lieux où les principes personnels doivent rester au vestiaire si l’on veut survivre. Première bonne nouvelle à la lecture de ce dossier de 18 pages, les managers ont une âme ! Deuxième bonne nouvelle, non seulement il est possible d’exercer ses responsabilités en entreprise sans pactiser avec le diable, mais en plus c’est efficace ! Les témoignages et les avis d’experts recueillis vont dans le même sens. On ne fera pas la fine bouche et on se réjouira de lire autant d’exemples positifs qui peuvent redonner l’envie d’entreprendre à ceux qui doutent. Et pourtant…

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…pourtant, il manque peut-être quelque chose à cet excellent dossier. Il est bien de décrire les engrenages pervers qui poussent au crime les managers les mieux disposés. Sans doute, le laxisme et la lâcheté expliquent-ils l’abandon progressif de principes « éthiques », pour mener à une situation où ce qui est anormal devient la norme, »puisque tout le monde le fait ». Sans doute, il faut du courage pour résister et dire non à ce qui est moralement inacceptable. Sans doute, il est plus facile d’être courageux quand on a préparé ses arrières. Mais est-il bien raisonnable de demander un héroïsme quotidien à des managers, s’ils se sentent isolés ?

Ne faudrait-il pas rappeler la responsabilité particulière des patrons d’entreprises ? Le silence des patrons est la première cause de décomposition morale des entreprises. Trop de patrons se contentent encore d’exiger des résultats sans vouloir se mêler réellement du détail des méthodes utilisées par leurs collaborateurs. Or il est très important pour les collaborateurs de savoir ce qui « plaît » à leur patron. A-t-il la volonté de s’appuyer sur des principes, des valeurs, des lignes de conduite, des règles de fonctionnement. Quand les patrons s’engagent réellement sur ce terrain, ils sanctionnent positivement ou négativement la façon qu’ont leurs collaborateurs de parvenir aux résultats exigés. Ils les encouragent ainsi à agir collectivement de façon « vertueuse ». N’est-ce pas la meilleure méthode pour éviter à leurs collaborateurs de se perdre ?

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La GPEC, une opportunité de développement à saisir

Depuis le premier janvier 2008, la GPEC est devenue un objet de négociation obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés en France. Passons vite sur l’aspect obligatoire imposé par le législateur, qui laisse perplexe plus d’un employeur, et venons droit à l’essentiel. La Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences peut devenir un outil d’un grand intérêt au service des entreprises et de leurs salariés. De quoi s’agit-il ?

Toute entreprise cherche à faire pour ses clients ce que ses clients ne savent pas ou ne veulent pas faire. Au moins aussi bien que ses concurrents et de préférence mieux qu’eux. C’est leur raison d’être. Le « métier » de toute entreprise consiste en effet à transformer compétences et savoir faire au service des clients, dans un équilibre économique. La mobilisation et le développement des compétences des employés est donc un enjeu essentiel de pérennité …
Gérer les emplois et les compétences est en principe une préoccupation ordinaire et constante dans toute entreprise. La recherche de l’adéquation « homme-poste » n’est-elle pas le b-a-ba de toute gestion digne de ce nom ?

Quelle est donc la valeur ajoutée par la GPEC ?

Le premier point important est d’abord l’obligation de prévision à moyen terme, pour identifier les changements impératifs auxquels l’entreprise va se trouver confrontée. Gouverner c’est prévoir… Des changements externes (marchés, technologies, produits, environnement juridique etc.) déclencheront des besoins de changement internes (évolution des métiers, évolution du contenu et de l’organisation du travail, besoins de développement des personnes…) La communication des objectifs à atteindre dans le temps permet de partager une vision commune du futur et de donner à chacun le sens des progrès à accomplir. La GPEC matérialise ainsi de la convergence d’intérêts entre l’entreprise et ses salariés. Dynamisme économique et employabilité se conjuguent !

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Deuxième élément, la GPEC s’intéresse à toute personne de l’entreprise. La nouveauté consiste à s’obliger à considérer la situation des personnes les plus fragiles. Là où les tâches sont les plus routinières, les niveaux de qualification les plus bas, l’autonomie la plus réduite, la formation professionnelle reçue la plus maigrelette…Il s’agit de remettre en mouvement des personnes qui ont parfois perdu confiance en elles-mêmes au point de se croire incapables d’apprendre et de progresser. L’expérience montre que de très bons résultats peuvent être obtenus en agissant conjointement sur le contenu du travail et la qualité des liens entre les personnes.

Et c’est le troisième élément. L’une des clés du succès tient à la qualité du regard porté par les responsables hiérarchiques sur les personnes qui dépendent d’eux. Ce regard change d’autant plus aisément quand les responsables ont une obligation de mise en valeur des membres de leur équipe. D’excellents outils d’évaluation du potentiel de développement des salariés peuvent être mis à leur disposition. Mais il faudra toujours débloquer la volonté d’aller de l’avant chez les personnes qui sont à l’arrêt. Et ce « pari » sera vraiment gagné quand les personnes décident de prendre en main leur propre parcours d’évolution. La confiance est alors un élément déterminant. Une nouvelle fois, la qualité de la relation de proximité avec le responsable direct peut faire la différence.

Comme pour toute mise en place d’outils globaux de progrès (TQM, TPM etc.) une politique de GPEC passe d’abord par une mise à niveau des fondamentaux du management, sans laquelle les ambitions affichées risquent fort de rester stériles.

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Est-ce compliqué de simplifier le travail ?

La simplification du travail occupe la première place, parmi les fondamentaux du management identifiés par Isaac Getz. Depuis l’apparition des Shadoks et de leur maxime « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué », tout le monde connaît la distance qui peut séparer une intention louable de simplification de sa réalisation concrète. Faire simple est donc tout un art…

Pour l’illustrer, il me revient cette observation faite à l’occasion d’une visite d’usine, renommée pour la qualité de ses productions et de sa culture de management. Située en milieu rural, elle occupe 600 salariés. Notre hôte nous propose de nous emmener déjeuner à quelques kilomètres de distance en utilisant une voiture de service. Curieux de comprendre comment les voitures de service sont « gérées », je lui demande :

– Comment faites vous vos réservations ?
– C’est simple, il suffit de s’inscrire dans un cahier et ensuite de récupérer les clés et les papiers du véhicule réservé.
– C’est possible de voir ce cahier ?
– Bien sûr…
Notre hôte nous emmène au premier étage du bâtiment administratif et nous montre le cahier en question. 6 colonnes : véhicule emprunté, date et heure d’emprunt souhaitées, date et heure de retour prévues, nom de l’emprunteur. Je m’étonne :
– C’est curieux, on ne peut voir ni la destination, ni l’objet du déplacement, ni aucun visa d’autorisation…
– En effet. Mais à quoi cela servirait-il ? Nous partons du principe que les gens qui ont besoin de se déplacer ont de vraies raisons de le faire. Pourquoi leur demander d’ajouter des informations ? Pour les contrôler ? Ce serait confier un pouvoir à une « structure » pour effectuer un travail inutile et coûteux …et, comme tout le monde, nous cherchons à réduire nos frais de structure…
– Mais vous devez bien avoir des conflits à régler ?
– Il arrive en effet que deux personnes aient besoin de la même voiture au même moment. Dans ce cas, elles se parlent directement et trouvent une solution.
– N’y a-t-il jamais d’abus ? Des gens qui ne rendent pas leur voiture à l’heure dite par exemple ?
– C’est arrivé une fois, avec une personne nouvellement embauchée qui avait du mal à respecter ses engagements. Cette personne nous a quitté depuis…

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Quels enseignements tirer de cette anecdote ?

Pour faire simple, cette entreprise a choisi de s’appuyer sur quelques lignes directrices :
Faire confiance aux personnes et les responsabiliser : « le regard porté sur les gens modifie les gens… »
Préférer le bon sens à la logique
Traiter les problèmes d’application au niveau où ils se posent, sans intermédiaire
Appliquer des règles simples avec rigueur (par exemple, s’interdire de traiter d’éventuels abus par des notes de service qui globalisent, déresponsabilisent et ne règlent pas les causes des abus)

Ces lignes directrices ne sont pas des outils mais des « fondamentaux ». Ce sont les principes sous-jacents qui permettent l’émergence d’une culture commune à l’entreprise et renforcent l’efficacité du déploiement des outils qu’elle a choisis. Cette culture se développe dans la durée grâce à l’action d’une direction qui maintient son cap avec persévérance.

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Milgram et la maltraitance managériale

Le journal d’un médecin du travail  relate la vie au quotidien d’une grande surface vue par le docteur Dorothée Ramaut entre juin 2000 et mars 2006. Une vie faite d’humiliations et de graves souffrances psychologiques…Le docteur Ramaut décrit les ravages causés par ce qu’elle nomme la « maltraitance managériale » sur les salariés qui y sont exposés. Ce qu’elle dénonce, ce ne sont pas les brimades occasionnelles de « petits chefs » complexés, mais des « méthodes de management contraires à la dignité de l’homme » érigées en système.

Elle croyait au départ que « les chefs étaient tous des sales types payés pour malmener leur équipe ». Elle pensait que les victimes de harcèlement moral ne pouvaient être situées qu’en bas de l’échelle, là où le pouvoir fait défaut pour résister à de mauvais traitements. Elle change de point de vue au fur et à mesure qu’elle voit défiler dans son cabinet des « chefs » qui craquent eux aussi.

Comme Daniel, chef de rayon depuis dix ans, un grand type costaud qui en impose, mais qui s’effondre en sanglotant : son chef de secteur l’a humilié à plusieurs reprises devant ses équipiers et même devant la clientèle. Il critique toutes ses décisions sans motif, en vociférant et en public…D’abord déstabilisé, puis démoli, Daniel doit être déclaré en inaptitude temporaire, puis définitive. Il sera licencié. Son chef de secteur et le directeur semblent trouver que c’est une bonne chose : de toute façon « Daniel était un mauvais manager, il n’avait pas le profil de l’entreprise, il était nul… »

Comme Mathieu, qui refuse de licencier pour un vol imaginaire un salarié jugé trop inefficace par son chef de secteur. Dès lors, leurs relations vont devenir exécrables : ordres irréalisables, objectifs impossibles à atteindre…il est finalement assez facile de rendre la vie impossible à un chef de rayon…

Les exemples de même nature abondent dans ce livre témoignage et on ne peut manquer de se poser trois questions :

Quelle est la réalité des situations décrites ?

Le médecin du travail est bien placé pour décrire les pathologies qui sont de son domaine de compétence. Sa compétence professionnelle et son intégrité ne semblent pas devoir être mises en question. Aucune de ses décisions n’a d’ailleurs été remise en cause, ni par l’entreprise, ni par sa hiérarchie. A ceux qui lui disent qu’il est trop facile de se plaindre de harcèlement pour éviter de faire le travail demandé, elle répond par des faits. Le facteur commun de toutes les souffrances décrites est l’humiliation répétée et durable, cause d’isolement et de déstabilisation profonde des personnes qui en sont les victimes.

Quelle conscience les responsables en ont-ils ?

Cette question sera posée constamment par le docteur Ramaut, qui estimera de son devoir d’alerter les responsables de l’entreprise. La direction, ou plutôt les directeurs (3 en 6 ans…) auront comme attitude successive : le refus de voir (ce n’est pas grave…), l’intimidation (débarrassons-nous du gêneur…), puis l’acceptation de mesures cosmétiques de prévention (encadrons sa parole, mais ne changeons rien à nos pratiques…)
Quant aux chefs de secteur directement en cause, ils ne semblent ni comprendre ni accepter la relation de cause à effet entre leurs comportements et les conséquences sur leurs « collaborateurs ». La tendance est à la banalisation des faits : « ce n’était pas si grave que cela », « c’était pour rire », « il est trop sensible »…
Cette banalisation est renforcée par l’isolement et la peur de perdre son emploi qui dissuade toute réaction de défense. Le mépris ordinaire n’existe donc pas, puisque personne ne veut mépriser personne…

Comment expliquer les comportements des responsables ?

Le comportement des responsables, et parfois des collègues, apparaît choquant et incompréhensible dans notre époque si imprégnée de valeurs de respect et de tolérance. Une clé de compréhension peut se trouver dans les expériences de Stanley MILGRAM, menées dans les années 60 dans le cadre de l’Université de Yale. Les sujets sont des volontaires recrutés par annonce à qui on dit qu’il s’agissait d’une banale expérience sur la mémoire et l’apprentissage. En réalité, le but de l’expérience est de comprendre les mécanismes d’obéissance et notamment jusqu’à quel point précis chaque sujet suivra les instructions de l’expérimentateur, alors que les actions qu’on lui demande d’exécuter vont entrer progressivement en conflit avec sa conscience.

L’expérimentateur fait entrer deux personnes dans une pièce et leur explique que l’une sera « expérimentateur » et l’autre l »élève », et qu’il s’agit d’étudier les effets de la punition sur le processus d’apprentissage.

L’expérimentateur emmène l’élève dans une pièce, l’installe sur une chaise munie de sangles qui permettent de lui immobiliser le bras pour empêcher tout mouvement désordonné et lui fixe une électrode au poignet. Il lui dit qu’il va devoir apprendre une liste de couples de mots ; toutes les erreurs qu’il commettra seront sanctionnées par des décharges électriques d’intensité croissante.

Le véritable sujet de l’étude est le moniteur, qui après avoir assisté à l’installation de l’élève, est introduit dans une salle du laboratoire où il prend place devant un impressionnant stimulateur de chocs. Celui-ci comporte une rangée de 30 manettes qui s’échelonnent de 15 à 450 volts par tranche d’augmentation de 15 volts et sont assorties de mentions allant de « choc léger » à « attention choc dangereux ».

On invite alors le moniteur à faire passer le test d’apprentissage à l’élève qui se trouve dans l’autre pièce. Quand la réponse de l’élève est correcte il doit passer au couple de mots suivant. S’il se trompe, il doit lui administrer une décharge électrique en commençant par le voltage le plus faible, et augmenter progressivement (par tranche de 15 volts).

Le moniteur est un sujet naïf qui ne sait pas que le rôle de l’élève est en fait tenu par un acteur qui ne reçoit en réalité aucune décharge électrique.

A quel instant précis va-t-il refuser d’obéir à l’expérimentateur ?

Le conflit surgit quand l’élève commence à donner des signes de malaise qui vont devenir de plus en plus pathétiques en fonction de l’augmentation du voltage :

– à 75 Volts il gémit,
– à 120 Volts, il formule des plaintes en phrases distinctes,
– à 150 Volts, il supplie qu’on le libère,
– à 285 Volts, sa seule réaction est un cri d’agonie
– au delà de 285 volts, c’est le silence…

Les résultats sont impressionnants : dans 2 cas sur 3, le moniteur poursuit l’expérience jusqu’au bout ! MILGRAM observe que l’homme – soumis à un pouvoir – est prêt à torturer à mort : « sa conscience, qui contrôle d’ordinaire ses pulsions agressives, est systématiquement mise en veilleuse quand il entre dans une structure hiérarchique ».

La surprise fut totale pour l’équipe de MILGRAM comme pour tous les observateurs : personne n’attendait un tel pourcentage de  » bourreaux « . Car chacun négligeait le rôle crucial de la hiérarchie, et surestimait le rôle des idées que l’homme se fait de son action et de la prétendue force de caractère sensée les mettre en œuvre. La référence acceptée à une autorité hiérarchique – si infime soit son degré sur un agent – suffit, en effet, à lui dicter un comportement. L’agent réagit d’abord aux signaux venant d’en haut ; il n’écoute plus les signaux venant de sa  » victime « , même quand celle-ci est directement menacée de mort. Il est engagé dans une situation d’obéissance dont il lui est incroyablement difficile de se retirer, et qui montre à quel point la situation hiérarchique détermine plus souvent les actes des hommes que ne le fait leur volonté personnelle.

« Quelle que soit la raison qui pousse le sujet à administrer à la victime le choc le plus élevé, il faut la chercher ailleurs que dans la libération de ses pulsions agressives : seule peut l’expliquer la transformation de comportement qui intervient chez lui à la suite de l’obéissance aux ordres. »

MILGRAM montre comment le taux de sujet torturant à mort chute de 65% à 2 %, lorsque celui-ci est libre de choisir la gravité de la torture, tandis que soumis à une pression hiérarchique forte et disposant d’une hiérarchie inférieure à laquelle il délègue l’acte physique de la torture, le taux monte de 65% à 92 %!

Il propose ainsi le concept d’ »état agentique » pour l’homme qui … « se considère comme l’agent exécutif d’une volonté étrangère, par opposition à l’état autonome dans lequel il estime être l’auteur de ses actes. …L’individu estime être engagé vis-à-vis de l’autorité dirigeante, mais ne se sent pas responsable du contenu des actes que celui-là lui prescrit. Le sens moral ne disparaît pas, c’est son point de mire qui est différent. »

Autrement dit la logique d’obéissance hiérarchique permet à la fois de déculpabiliser l’individu des actes les plus monstrueux, mais surtout de réguler et de régulariser la violence qui circule dans toute société, ou groupe humain. Cette logique est d’autant plus pernicieuse que les personnes concernées n’en ont pas conscience.

Quel rapport entre cette expérience et le livre du Docteur Ramaut ?

Le cadre hiérarchique de travail et la pression permanente sur les résultats poussent les responsables et leurs collaborateurs vers une dégradation progressive et inconsciente du rapport à l’autre. Au point de créer des situations objectives de harcèlement destructrices qui apparaissent comme « normales ». Personne n’ose dire « stop », sauf le médecin qui, placé hors cadre hiérarchique, obéit à sa conscience…

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Le management des personnes, un  » processus ISO  » ?

La norme Iso 9001 v 2000 définit un système Qualité fondé sur une approche dite  »par processus ». Dans ce cadre, l’entreprise adopte une vision transversale de son fonctionnement. Par un alignement coordonné et un pilotage des différentes activités créatrices de valeur pour le client, elle cherche à mieux satisfaire les exigences de ce dernier. Toujours dans ce cadre, tout système d’activités qui reçoit des entrées et les convertit en sorties peut être considéré comme un processus.

processus

Peut-on alors considérer le management des personnes comme un processus ?

On pourrait d’abord observer que la mission principale de tout responsable d’équipe est de faire réussir son équipe. Il doit ainsi transformer des compétences en résultats. Dans une perspective d’amélioration continue, l’intérêt de cette approche est de rappeler que manager c’est transformer. C’est donc apporter de la valeur ajoutée. Et être capable de mesurer l’efficacité de cette action de transformation. La question est de savoir ce que cela peut vouloir dire pour les personnes.

Un chef d’entreprise répondait ainsi à ses collaborateurs : « tous les jours, des produits et des matériaux entrent dans notre entreprise pour y être transformés en biens destinés à nos clients. Tous les jours, nous nous efforçons d’améliorer la qualité de ces biens afin de rencontrer toujours mieux les attentes de nos clients… Tous les jours, des personnes entrent dans notre entreprise pour y passer le plus clair de leur vie éveillée. Dans quel état en sortent-elles ? Les traitons-nous au moins aussi bien que produits et matériaux ? Que faisons-nous pour qu’elles en sortent grandies ? »
Il poursuivait son discours en rappelant ses attentes vis à vis de ses collaborateurs, en insistant particulièrement sur un critère de l’évaluation de leur performance formulé ainsi : « êtes-vous une force de mise en valeur des personnes qui vous sont confiées ? ».

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Comment acquérir les « fondamentaux » du management ?

Le succès des outils de management dépend d’une condition préalable essentielle : l’acquisition des « fondamentaux » du management. Cette remarquable conclusion d’Isaac Getz * est néammoins assortie d’une réserve : à la différence des « boîtes à outils » du management, il n’y a pas une « boîte à fondamentaux ». Et de s’en réjouir car cela mène à un effort de compréhension profonde de ce que sont ces fondamentaux…Comment dès lors faciliter leur acquisition ? Au risque de choquer les gens pressés qui pensent que réfléchir est une perte de temps insupportable, il suffit de prendre le temps d’observer et de réfléchir…

Rappelons que les « fondamentaux » sont les principes sous-jacents qui traversent le fonctionnement de l’entreprise et permettent aux personnes de donner leur pleine mesure en appliquant de façon optimale des outils adaptés. En prenant connaissance des 4 fondamentaux donnés en exemple par Isaac Getz, on peine à croire qu’il puisse être nécessaire de réfléchir très longtemps pour les identifier. Simplifier le travail, partager l’information, donner autonomie et autorité, considérer les personnes en tant qu’êtres humains, cela ressemble à du simple bon sens fondé sur une anthropologie élémentaire. Les cyniques diront que ce sont de fausses évidences, simplistes mais sympathiques, qu’il faut pouvoir afficher pour respecter les canons humanistes en vigueur.

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En réalité, le vrai travail de réflexion porte moins sur l’identification des principes retenus que sur les conditions de leur mise en application. Car le vrai changement réside en ceci : pour être féconds, les principes retenus doivent s’imposer à tous les étages de l’organisation de l’entreprise et rester liés les uns avec les autres.

Illustration : à quoi sert-il de partager l’information avec les salariés de première ligne s’ils ne disposent pas de l’autonomie nécessaire pour transformer l’information reçue en bonne décision ? Inversement, à quoi servirait-il de donner cette autonomie si les canaux d’information restent verrouillés aux niveaux supérieurs ? Comment déléguer aux niveaux les plus bas de réels pouvoirs de décision sans considérer les personnes en tant qu’êtres humains, suffisamment intelligents pour prendre des initiatives et dignes de confiance ? Enfin, comment espérer simplifier le travail, c’est à dire éliminer procédures et contrôles superflus, sans considérer que les personnes feront plutôt bon usage de leur autonomie au lieu de se comporter en délinquants ?

L’assemblage des fondamentaux ressemble donc un peu à un chateau de cartes : tout se tient, et il suffit qu’un seul de ces éléments fasse défaut pour que l’ensemble s’écroule. La solidité de l’édifice repose sur une vision globale et une action coordonnée. L’engagement du patron et sa volonté de faire partager une même vision de ces fondamentaux par l’ensemble de ses collaborateurs sont alors décisifs. Concrètement, il s’agit de traduire la vision en lignes de conduite, puis en outils d’application, puis en actions. L’expérience montre que plus les collaborateurs sont associés à cette réflexion, plus ils en comprennent le sens et jouent le jeu. Cela suppose naturellement de décider de s’en donner le temps et les moyens.

* Son excellent article publié dans Les Echos du 7 décembre 2006 ; « la botte secrète : avoir des salariés impliqués et plein d’initiatives ».

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L’information, c’est comme la salade…

L’information, c’est comme la salade…

C’est une denrée périssable. Quand elle est passée de date, elle n’est plus comestible. Elle est bonne pour la poubelle, ou le tas de compost si on est écolo.

Quel est le rapport avec la vie de l’entreprise ?

Être bien informé, c’est avoir l’information dont on a besoin au moment où on en a besoin. Heureusement, les entreprises bien organisées savent rendre facile l’accès aux informations utiles. Mais il manque toujours de l’information disponible sur l’étagère. Il faut donc aller la chercher. Le moyen le plus simple consiste à poser des questions. C’est un moyen très efficace, quand on sait à qui poser les questions, et que les réponses seront rapides et fiables.

Cette fluidité dans la circulation de l’information est une clé pour l’efficacité des entreprises. Mais elle ne va pas de soi. Elle repose sur une compréhension partagée par l’ensemble des collaborateurs : l’information est un service. Répondre aux questions posées est un service qui aide les autres à bien faire leur travail. En conséquence, ce devrait être un critère d’évaluation du service rendu par chaque collaborateur…

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Lettres à un DRH

Est-il encore possible d’instruire un DRH des choses de l’humain au travail ? En cette période d’échanges de voeux où surabondent la bienveillance, les bonnes intentions, et les bonnes résolutions, ce serait dommage de ne pas contribuer à la bonne humeur générale. Pour cela, rien ne vaut ce bon vieux Screwtape…

Screwtape ? Vous savez bien, cet éminent dignitaire du monde « d’en bas », mis en scène par C.S.Lewis dans ses fameuses « Screwtape letters », ou « Tactique du Diable »… un livre à ne pas mettre entre toutes les mains tant il est instructif sur les possibilités d’exploitation de certains penchants de la nature humaine.

Devil

Or, voici que deux nouvelles lettres viennent d’être découvertes. Rédigées à l’intention de son neveu, DRH nouvellement promu, elles commencent ainsi :

« vous voilà bientôt dans les lourdes responsabilités du directeur des ressources humaines de l’un des grands groupe de la planète. Le temps est donc venu pour moi de vous instruire des choses de l’humain au travail. Je vous parlerai notamment de la dangereuse capacité de ce dernier à résister aux excellents principes que nous réussissons péniblement à installer, afin de pouvoir plus aisément nous emparer de la planète le moment venu.

Il est sûr que votre éthique du politiquement correct, dû à votre pauvre mère, vous a puissamment aidé à progresser discrètement jusqu’à ce poste convoité. Mais, je vous recommande de prendre garde dès à maintenant au fait que les principes, dont je vais vous entretenir, vont radicalement à l’encontre de tout humanisme. »

Vous êtes tentés de lire la suite ? C’est ici   Screwtape

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L’intégrité comme critère de recrutement ?

« Quand vous cherchez des gens à recruter, vous devez rechercher trois qualités: l’intégrité, l’intelligence et l’énergie. Et s’ils ne possèdent pas la première, les deux autres vous tueront. »

Ce conseil de recrutement est donné par Warren Buffett, l’homme le plus riche du monde, juste après Bill Gates…C’est apparemment simple à comprendre et assez banal. Pour s’en persuader, il suffit de lister les trois qualités contraires : malhonnêteté, sottise et apathie. Qui engagerait des candidats doués de telles qualifications ? L’intérêt du conseil est donc ailleurs. L’intelligence et l’énergie, on voit bien de quoi il s’agit : compétences techniques, facultés de compréhension et d’adaptation, vitalité et volonté d’agir. Mais sans l’intégrité, Warren Buffett nous dit que ces qualités se détournent de la finalité de l’emploi à occuper et deviennent des armes mortelles contre l’entreprise. Raison pour laquelle il en fait son premier critère de recrutement.

 

Warren_Buffett

Il reste à définir l’intégrité. Dans les entreprises anglo-saxonnes, l’intégrité désigne habituellement le respect d’un code de valeurs morales où se retrouvent honnêteté, confiance, justice, respect, responsabilité…Être intègre consiste à se conformer à un ensemble de lignes de conduite.

Une première question pratique se pose alors. Comment détecter cette indispensable qualité à l’embauche ? Il existe des méthodes pour évaluer compétences et vitalité. Mais pour l’intégrité, quels sont les tests appropriés ? Les recruteurs disposent-ils d’un pied à coulisse pour mesurer la volonté de respecter le code de valeurs de l’entreprise ? Faut-il faire confiance à son intuition ?
Sans doute, certains indices peuvent mettre sur la voie : le candidat qui n’a jamais fait d’erreur, qui sait tout sur tout, qui n’a jamais connu d’échec, qui se dit tellement en harmonie avec les valeurs de l’entreprise… risque d’éveiller des soupçons. Mais la situation de recrutement est artificielle et peut favoriser les caméléons les mieux préparés.
C’est en réalité après l’embauche que l’essentiel se joue.
L’observation des comportements d’une personne en situation de travail permet d’évaluer le comportement intègre sur des exemples concrets et non en valeur absolue. L’attitude face aux difficultés rencontrées est très révélatrice. En cas de crise, il est par exemple possible d’observer si les informations transmises sont  »vraies », c’est à dire complètes, factuelles, précises, utilisables par leurs destinataires.

Cette observation du comportement doit avoir de l’importance, c’est à dire des conséquences pratiques, positives ou négatives, pour les personnes. Observation, évaluation et reconnaissance doivent être liées. C’est pour l’entreprise le moyen d’assurer la crédibilité de son propre code et d’encourager les comportements attendus.

A défaut, le critère d’intégrité ne sera qu’un morceau de papier dépourvu de signification et, à en croire Warren Buffett, l’entreprise serait en grand danger.